Le choix de mourir
"A 14h, je lui parlais encore, à 18h, il était décédé."
Peut-on choisir le moment de sa mort ? Peut-on se laisser submerger par la maladie, en quelques heures, et pousser son dernier soupir... ?
C’est l’impression qu’il nous a donné. Comme s’il avait attendu ce moment précis.
Sa plus grand hantise était de mourir seul, la nuit, dans une chambre d’hôpital.
Voyant son état, ma mère a appeler la famille, au cas où, qu’ils viennent le voir, pour lui remonter le moral… ou pour la dernière fois.
Alors il a attendu ce jour pour mourir. Entourer de sa femme, sa mère, sa sœur et son beau frère. Il n’était pas seul. Alors il s’est laissé partir. Au bout de quelques heures seulement.
Hémorragie pulmonaire. C’est pourtant pas quelque chose que l’on peut prévenir. Cela arrive soudainement, sans que l’on le sente arriver.
A-t-il réellement choisi ce jour pour mourir ?
Et bien si c’est le cas, je lui en veux d’avoir fait ce choix.
Je lui en veux d’avoir lâché prise et de s’être laissé partir.
Alors oui, je ne suis pas à la place de quelqu’un qui se bat contre un cancer. Certes. Mais je suis à la place d’une fille qui a perdu son père à 24 ans. D’une fille qui essaie péniblement de construire son avenir, un avenir que son père ne verra jamais. Mariage/pacs, enfant, belle situation professionnelle, appartement/ maison… Il ne le verra jamais. Voilà.
C’est comme s’il n’avait pas tenu son rôle de père jusqu’au bout. Déjà de son vivant, ce rôle n’était pas là. Sauf si l’on considère le rôle du père comme l’incarnation même de l’autorité. Le véritable "chef de famille". C’est lui qui décide de tout. C’est lui qui exile sa fille et sa femme loin de la famille. C’est lui qui nous a isolé dans des endroits impossibles, loin de tout, loin des nôtres… Loin, si loin… Cette solitude en moi, elle n’est pas là par hasard. Son égoïsme y est fortement pour quelque chose.
Ses projets impossibles qui n’ont jamais abouti, tous ces sacrifices… Pour rien. Mon enfance a manquée de beaucoup de choses à cause de "ses projets". Argent, famille, véritable maison, une chambre… une simple chambre à moi. Travailler lui était impossible, car il avait ses projets en tête, qui occupait tout son esprit pendant tellement d’années que je ne saurai les compter…
Ces échecs, tous ces échecs dans lesquels fût bercée mon enfance… Longtemps j’ai cru que rien n’était possible. Que je n’arriverai jamais à rien. Car pour moi, l’échec était un acquis.
J’ai dû faire mes preuves… A moi-même.
Je n’ai jamais eu la figure d’un père aimant. Jamais d’affection, jamais de soutien, jamais de partage. Enfant, j’avais peur de lui. Je n’osai jamais rien lui demander. J’ai toujours eu du respect pour lui, mais il m’inspirait malaise et timidité, bien que ça se soit arrangé en grandissant.
Au fond, il ne s’est pas tellement occupé de moi. A part pour les papiers administratifs. Qui m’amenait à l’école ? Qui allait aux réunions parents-profs ? Qui m’a amené passer mes épreuves du bac ? Qui m’appelait au téléphone quand je suis parti pour mes études ?
Ou encore, qui jouait avec moi quand je m’ennuyais seule dans ces villages de merde dans lesquels il nous a terré, loin de tout ?
Ma mère, toujours ma mère…
Un mois déjà. 6.04.2017 - 06.05.2017.
Que la mort passe vite. Elle aussi.