Sentiments primaires

Statue de cire

Allongé. Là. Dans son cercueil.

Je ne l’ai pas reconnu. Non vraiment. On m’a dit que c’était lui, alors c’était lui. Mais je n’ai reconnu aucun de ses traits.

J’ai seulement vu une statue de cire.

Lundi 10 avril 2017, Twitter :
"Aujourd’hui j’ai vu un mort pour la première fois.
Aujourd’hui j’ai vu mon père pour la dernière fois..."

J’ai 24 ans et j’ai perdu mon père.

Ça y est. Nous y voilà. Je m’y attendais depuis quelques semaines. Depuis l’annonce de la rechute de son cancer. Une intuition, un certitude. Ça allait arriver. Il fallait que je m’y prépare. Que je m’arme à affronter cela. C’est étrange quand-même. 2 nuits avant le drame… Cette étrange angoisse que je ne pouvais définir…

Rien ne pouvait laisser penser que ça arriverait si précipitamment pourtant.

C’était il y a légèrement plus d’une semaine. La famille, enfin… un petite partie, est venue lui rendre visite à l’hôpital. C’est cette journée qu’il a choisi pour mourir. Entouré de sa mère, sa sœur, sa femme et son beau frère. C’est tout ce qu’il voulait je pense. Enfin mourir, enfin ne plus souffrir, enfin arrêter de se battre contre la maladie. Mais ne pas mourir seul…

Je ne pense pas qu’il aurait voulu que je sois là. Il a fait bonne figure jusqu’au bout, la dernière fois que je l’ai vu à l’hôpital, il y a de cela un peu plus d’un mois maintenant. Il était mal, mais ne me l’a pas montré. Devant moi il restait fort. Il plaisantait avec les infirmières, il allait.... "Bien". Il m’a paru aller bien. Si tant est qu’on peut "aller bien" en étant à l’hôpital…

Je suis contente d’avoir cette dernière image de lui. Plutôt que celle d’un mourant.

Pourtant, je l’ai vu mort…

Le scellage du cercueil, la messe, l’enterrement…

J’aurai tellement voulu avoir seulement ce dernier souvenir de lui à l’hôpital, déconnant avec les infirmières, même si ça sonnait faux…

Plutôt que cet inconnu dans ce cercueil…

Statue de cire…

Ses mains. Ses mains que j’admirais beaucoup. Ses mains qui savaient fabriquer tant de choses. Ses mains que je n’ai pas reconnu. Ses mains jadis belles, fortes, viriles, désormais flétries par la mort.

Ce visage. Ce visage dont je partage tant de traits. Ce visage tiré par la mort.

Et puis ce nez. Ce nez auparavant long et fier. Ce nez désormais racorni par la mort…

Il a été décidé de lui mettre des objets dans son cercueil. Moi je n’ai pas pu le faire. Je ne savais pas comment m’y prendre, je ne pouvais pas le toucher…

Et puis il a fallu faire une messe. Car il y tenait. Car il croyait en dieu et en la résurrection. Alors il y a eu ces textes absurdes, ces mensonges, ces incohérences. On m’a demandé d’allumer des bougies autour de son cercueil. On m’a demandé de mettre des musiques pour la fin de la cérémonie.

Mon ordinateur, actuellement sur mes genoux, a participé à la cérémonie mortuaire de mon père.

Deux musiques ont été choisies. Dont l’une par mes soins. Sans vraiment réfléchir, c’est la première qui m’est venue lorsque l’on a émie l’idée de passer des morceaux qu’il aimait. Une musique que j’adore, et qu’il écoutait beaucoup.

https://www.youtube.com/watch?v=RkZkekS8NQU

Maintenant je ne peux plus l’écouter. Maintenant, je l’associe à sa mort. A son enterrement.

Et puis après il y a le convoi funéraire, jusqu’au cimetière.

Ce cimetière où j’ai passé beaucoup de temps, dans ce village perdu où j’ai passé mon adolescence. Cet endroit paisible, où j’avais un bon réseau téléphoniques pour parler à mes copines. Ce cimetière où j’ai fait de superbes photos. Et oui, j’aime prendre les tombes en photo. Si de belles tombes sont construites, c’est bien pour le plaisir des yeux, non ?

Sa tombe. Un OVNI au milieu des autres. Si moderne, si sobre, si simple… Un simple piquet de chêne avec, inscrit dessus, son nom, son année de naissance et celle de sa mort.

M***** M*****
1947 - 2017.

Et de la terre.

Pas de pierre tombale. Juste de la terre qui recouvre son cercueil et ses choses que l’on a jeté dessus, fleurs et cartes aux effigies bibliques.

Sur toute cette terre reposent des gerbes de fleurs. Gestes impuissants de la famille qui n’a pu être là, mais aussi d’amis, de voisins…

Et des plaques… Avec un chasseur, comme il le voulait.

Et puis voilà. C’est terminé. Il est là-bas.

"Un jour tu me retrouveras au cimetière" disait-il parfois…

C’est chose faite.

Et moi. Je fais quoi maintenant ?